Dans l’histoire sociopolitique du Congo Brazzaville, la musique a toujours été utilisée comme outil de contestation ou de propagande politique. Le Bûcheron, l’album disque de Franklin Boukaka, est le parfait exemple du discours politique en chanson.
Dans l’histoire sociopolitique du Congo Brazzaville, la musique a toujours été utilisée comme outil de contestation ou de propagande politique. Dans ce pays où le monopartisme a été pendant longtemps le système politique par excellence, la musique est restée le seul moyen d’expression, les médias étant tous propriété de l’Etat, et donc au service du parti au pouvoir. Le Bûcheron, l’album disque de Franklin Boukaka, est le parfait exemple du discours politique en chanson. Les spécialistes en la matière le savent peut-être mais il est toujours difficile de dire si ce talentueux chanteur était un musicien politicien ou un politicien musicien ?
Dans le registre de la musique comme moyen de propagande politique, l’évocation en chansons de la mort de Marien Ngouabi a été la parfaite illustration. En effet, tous les groupes folkloriques du pays sans exception avaient été invités à composer au moins une chanson en hommage au président « abattu l’arme à la main ». Toutes ces compositions furent diffusées à la radio congolaise durant tout le mois du deuil national. Toutes les Congolaises et tous les Congolais (re)découvrirent alors la beauté, la richesse mais aussi la diversité culturelle de leur pays. Dommage qu’aucune œuvre phonographique n’ait été produite sur la base de ces chansons populaires, car les artistes avaient donné le meilleur d’eux-mêmes.
Beaucoup d'artistes se sont lancés dans les chansons " révolutionnaires " avec des motivations diverses et avec plus ou moins de succès. Certains y étaient obligés pour ne pas paraître " anti-révolutionnaires ". La formule que l’on prête au président américain Georges Bush était déjà d’actualité au Congo Brazzaville : « ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous ». D’autres ont chanté la politique de façon subtile, discrète et intelligente. Parmi c’ceux-là, Pamelo Mounka était sans doute l’un des plus audacieux et des plus visionnaires.
En effet, Pamelo Mounka sort la chanson Buala yayi mambu en 1981. Celle-ci connaît très rapidement un succès phénoménal dans les deux Congo, sur l’ensemble du continent, aux Antilles et même en Europe. Cette chanson allait consacrer le renouveau de la musique congolaise qui jusqu’alors vivait sous l’ombre de celle du Zaïre de Luambo Makiadi et Tabu Ley. Le tempo lent de cette œuvre conquit même le public jeune qui d’habitude préfère plutôt des rythmes rapides et chauds. Les aînés et les anciens retrouvent les sensations de la belle époque de Paul Kamba. Une belle unanimité se crée autour de cette chanson entre la vieille et la jeune génération. Il faut dire que la rumba congolaise s’y accorde bien avec le rythme de la chanson au grand bonheur des hommes et de leurs femmes si ce n’est celui de l’époux infidèle dans les bras de son 2e bureau (la maîtresse), aussi appelée actuellement ‘ receveur ’ par les jeunes dans les rues de Pointe-Noire, puisque que c’est elle que l’homme va voir en premier avec la paie de la fin du mois avant de regagner son foyer.
Ainsi, tous les soirs jusqu’à l’aube, dans tous les bars dancings du pays les couples se forment pour danser la rumba. Les hommes mettent leurs bras autour de la taille de la cavalière. Celle-ci enlace le cavalier des deux bras autour du cou, la tête posée sur l’épaule de ce dernier ; poitrine contre poitrine, oreille contre oreille. Au son de la musique les deux partenaires se déhanchent lentement et mollement en imprimant à leurs corps des mouvements horizontaux. L’espace d’un instant tous les soucis de la vie quotidienne et tous les bobos d’une vie de forçat sont oubliés. Tout devient simplicité, amour et bonheur. Tout est rêve, tout est romantisme, rien que du bonheur comme disent les Français.
Mais au-delà de tout cela, cette chanson c’est aussi des paroles. D’aucuns diront qu’elles sont très succinctes et limitées : ils ont raison. En simplifiant, Pamelo Mounka dit globalement ceci ; l’une des rares dédicaces (Ataraku comme aiment à le dire les Congolais de la rive gauche) est dédiée à « Alisson ( ?) en direct du pont de la Bouenza » :
Il y a beaucoup de problèmes dans ce pays
Certaines personnes (hommes, individus) s’amusent (gaspillent, blaguent) avec l’argent
Ils ne savent pas que l’argent est difficile (et cher)
(Au point que) si les feuilles étaient de l’argent,
On aurait déjà coupé tous les arbres du monde
Charly (ya Mboungou) donne-moi de l’argent.
Mais pour comprendre la profondeur de ces paroles, il faut se replacer dans le contexte des années 80 au Congo Brazzaville. En effet, sans effort ni tracasserie, l’argent coule à flots. Et pour cause, l’exploitation pétrolière connaît un boom sans précédent. Les explorations sous-marines laissent entrevoir des potentialités énormes de découvertes d’autres gisements pétrolifères. Dans les différents massifs forestiers, les exploitants se donnent à cœur joie en n’hésitant pas à créer de véritables boulevards dans la forêt pour aller chercher un seul arbre commercialisable. Les revenus financiers étant garanties par la vente de ces ressources naturelles, toutes les autres activités économiques du pays sont délaissées, abandonnées et négligées. Les entreprises ferment les unes après les autres.
Dans un système de monopartisme strict et comme par un silence complice, cette situation de déliquescence est ignorée. En tout cas, ceux qui le savent ne veulent pas ou n’osent rien dire. Les médias nationaux sont tenus en laisse. Les opposants sont contraints à l’exil. Les rares médias internationaux (RFI et Jeune Afrique à l’époque) qui osent diffuser des articles contre le régime en place sont dénigrés ou censurés. La descente aux enfers du Congo Brazzaville peut allègrement se poursuivre et s’amplifier. Le meurtre de tout un pays est en marche; un meurtre entre amis !
Pamelo Mounka, lui, l’avait senti; il avait osé le chanter. A Brazzaville et Pointe-Noire, la rumeur (pour suppléer le silence coupable des médias nationaux) disait qu’un comité d’éthique ou de sûreté de l’Etat avait repoussé in extremis l’interdiction de la diffusion de la chanson dans l’ensemble du territoire national. Mais on ne saura jamais la vérité sur cette affaire comme sur beaucoup d’autres…
Alors, que sont devenus les faits dénoncés par Pamelo Mounka 25 ans après ? Eh bien ! Force et de constater que beaucoup de choses ont changé. Le multipartisme a remplacé le mono (que les Congolais préfèrent au mot monopartisme). Les guerres fratricides et ethniques ont détruit non seulement le tissu économique, mais également les hommes dans leurs âmes. Les riches sont encore plus riches et plus puissants. Quant aux pauvres, tant pis pour eux. Les journaux sont plus nombreux tout en restant plus ou moins inféodés aux partis politiques. Même si l’accès est encore problématique et limité au Congo, l’Internet est en train de devenir la voix des sans voix. Mais à côté des changements positifs plutôt minimes et insignifiants, tout est resté pareil ou a empiré. Du mal, le Congo n’a pas évolué vers le bien mais plutôt vers le pire. La chose publique a changé de gestionnaire pendant des périodes plus ou moins longues résultant de l’alternance politique entre le PCT et l’UPADS. Les gouvernements et les ministres se sont succédé avec des résultats plutôt mitigés.
Il y a cependant quelque chose qui n’a pas changé au fil du temps. Il suffit de se remémorer les slogans en vogue au cours des différentes législatures. Ainsi, le « tout pour le peuple, rien que pour le peuple » a été remplacé par le « vivre durement aujourd’hui pour vivre mieux demain ». Cette expression étant très longue, le Congolais l’avaient affectueusement remplacé par " VDA " comme « vivre durement aujourd’hui ». Ils ont préféré ignorer le « pour vivre mieux demain » puisqu’au Congo il y a une éternité entre aujourd’hui et demain, alors on préfère ne pas y penser, à juste titre.
Ensuite est arrivé l’« autosuffisance alimentaire d’ici à l’an 2000 ». Mais bien que l’agriculture soit déclarée et reconnue « priorité des priorités » par tous les gouvernants, le Congo Brazzaville est toujours loin d’être la « petite Suisse » de l’Afrique. Alors pour nourrir les 3 millions d’habitants que compte aujourd’hui le pays, on importe le riz et le blé. La banane, l’igname et le manioc sont introuvables sur le marché ou trop chers. En effet, combien de congolais sont-ils capables d’acheter un ananas de 2 kilogrammes à 3000 CFA ? Que ceux qui mentent aillent en enfer !
A en croire le discours de la rue, le Congo Brazzaville est devenu une monarchie et le despotisme le mode de gouvernement. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder l’arbre généalogique de nos principaux dirigeants. Le pouvoir rétorque sans se démonter que les ressources du pays n’ont jamais été aussi bien gérées que maintenant. La preuve irréfutable est l’accès public des bilans de la SNPC, la compagnie congolaise qui gère les ressources pétrolières. A cela il faut ajouter le satisfecit accordé au ministère de l’Economie par le FMI. Devant cette contradiction et ces querelles de haut vol, le peuple Congolais ne comprend rien si ce n’est que le poids de son panier de courses au retour du marché de Total, de Moungali, de Ouénzé ou d’ailleurs continue de baisser.
Ah si Pamelo, Ya Mounka lui-même était encore là pour nous faire danser de nos malheurs ! Et puis, s’il devrait composer ou chanter Buala yayi mambu aujourd’hui, aurait-il modifié les paroles ? Serait-il plus indulgent ou plus sévère dans ses prises de position ? On ne le saura jamais.
Dans sa chanson intitulée D’ici à l’an 2000, Pamelo s’interrogeait sur l’avenir de ces milliers d’élèves et d’étudiants qui passaient des examens et concours. Maintenant la réponse est bien connue : les filles sont devenues des mères de famille ; comme leurs mamans avant elles. Les garçons ont péri pendant les guerres civiles successives, les plus chanceux survivent et attendent leur hypothétique intégration dans l’armée. D’autres encore, désœuvrés, remplissent les rues des grandes villes du matin au soir en attendant que les parents leur trouvent de quoi manger. Le retour au village leur est interdit pour fuir la sorcellerie et les mariages arrangés.
En tout cas merci à ce grand homme. Que le compatriote et l’artiste reposent en paix.
N.B. Cet texte déja fait l'objet d'une publication à l'occasion de la sortie de l'ouvrage du Réseau Congo21 référencé ci-dessous.
- Le Congo-Brazzaville à l’aube du XXIè siècle; plaidoyer pour l’avenir. Paris : Ed. L’Harmattan, 2004. Coord. Michel Nkaya.